Masters 2025 Villard de Lans - Programmes libres : beaucoup de soleil dans l’eau froide
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La météo continue de faire du yoyo sur Villard de Lans, mais dans la patinoire, l’ambiance est au beau fixe. A commencer par le libre couple, où le classement de la veille est respecté. Camille et Pavel Kovalev évoluent sur du rock bien saignant : “Come Together”, standard des Beatles, “After Dark” de Tito and Tarentula pour souffler un peu, et “Seven Nation Army” des White Stripes, beaucoup entendu et frisant la scie des patinoires. Mais le style leur sied, et leur permet d’exprimer une facette de leur personnalité méconnue. Le triple twist d’entame est, comme souvent, heurté à la descente, et gratifié d’un niveau 2 assorti de GOEs qui rasent la moquette. Dommage que cet élément continue de leur poser problème car c’est l’un des phares de la performance. Le triple Salchow se solde par une chute, mais l’avoir tenté est de bonne augure puisque le couple attendait que la blessure subie l’an dernier par Pavel soit consolidée avant de s’y risquer. Les autres éléments sont bons, dont un triple flip et un double Salchow lancés bien tenus. Une seconde déduction pour dépassement de temps écorne leur total de points : 112.93, pour 178.34 au final. Les quadruples champions de France, présents sur le circuit international depuis déjà onze ans, remportent ces Masters.

Aurélie Faula et Théo Belle sont deuxièmes de ce libre et de la compétition (101.40/159.95). Ils ont gagné en unité et connexion depuis la saison dernière. Ils ont choisi un thème oriental qui s’appuie sur trois partitions : “Yearning” de Raul Ferrando, “Hob Fi”, du chanteur kazakh aux six octaves Dimash Quderbaigen, et “Oasis” de Jo Blankenburg. Les pirouettes demandent encore un gros travail car le couple a tendance à ralentir et à se désynchroniser. Le triple twist prend l’eau, ou plutôt un vent de travers, comme le double Salchow chuté par Aurélie, mais double boucle piqué et Axel plus Axel en séquence sont réussis, de même que les sauts lancés, triple boucle et triple Salchow, même si le pied libre touche la glace sur ce dernier. Les portés, de niveau 3 et 4, sont très beaux.

Megan Wessenberg et Denys Strekalin sont moins en verve que lors du programme court. Les bases sont là, même si on tâtonne, on se cherche parfois encore un peu. Mais le couple est de formation très récente, et se contente sagement de réduire la difficulté des éléments les plus risqués, soit double twist, double Salchow parallèle et double Lutz lancé. La séquence avec Axel est invalidée, Megan chute sur le triple Salchow lancé, Denys fait de même sur… rien du tout, un grain de sable qui grippe la machine, des points s’envolent. Mais les deux patineurs montrent une grande fluidité et surtout, une solide volonté de bien faire. Ils sont troisièmes (86.08/134.82).

Le libre messieurs clôture la journée du vendredi. Kevin Aymoz se réapproprie un “Boléro” qu’il n’avait pas pu exploiter à sa juste valeur il y a deux saisons. La partition de Ravel est linéaire, répétitive, même si elle monde progressivement en puissance et il faut de la personnalité, de la présence pour lui conférer un relief. Kevin a les deux. Il prouve son talent inné pour la chorégraphie, et aussi une solidité mentale toute neuve déjà devinée l’an dernier. Quad boucle piqué, triple boucle piqué, triple Salchow, triple Axel/double Axel en séquence, triple Axel, double flip (sa seule erreur), triple Lutz : son idée d’un contenu technique et chorégraphique “allégé”. Séquence de pas et pirouettes sont de niveau 4 (sauf la dernière), une bonne poignée de +4 et +5 dans ses GOEs, une présentation qui monte jusqu’à 10 pour le juge N° 6, rien en dessous de 9.00, une majorité de 9.50 : Kevin attaque sa saison au lance-flammes sur un thème parfait pour les Jeux. Et pourtant il se dit “seulement aussi prêt qu’il peut l’être”, planifiant son pic de forme pour le Milan Olympique. Amoureux de sa musique, il la fait vivre avec passion et sensibilité, tour à tour explosif et délicat là où il faut. Nous avons hâte de voir la suite de sa saison ! Il remporte aisément ces Masters (167.97/274.06).

François Pitot, passé à travers son court, compte sur le libre pour décrocher son voyage à Pékin (qualification olympique). Au final, il sera largement dominé par Kevin à qui il rend plus de 30 points, mais ce programme sur quatre chansons des Beatles, “Let It Be”, “Get Back”, “When My Guitar Gently Weeps”, et “Eleonor Rigby”, alterne passages rock et mélodiques et lui permet de s’exprimer dans plusieurs registres à la fois. Côté technique, il assure quad Salchow, triple flip, triple boucle piqué/double Axel, rate un boucle exécuté en simple et le triple Axel solo, mais se reprend brillamment avec triple Lutz/triple boucle piqué et triple Lutz/double Axel/double Axel en séquence. Les notes individuelles ne crèvent pas le plafond mais lui permettent quand même de gagner trois places par rapport au court, pour atteindre le 2ème rang (157.69) et la médaille d’argent (230.80).

Monsieur, qui êtes vous et qu’avez vous fait d’Adam Siao Him Fa ? Il y met pourtant du sien, le double champion d’Europe. Mais comme dit l’adage, quand ça ne veut pas… ça ne veut pas ! Son libre est très ambitieux, nous n’en attendions pas moins de lui en cette saison olympique. Il tente quatre quadruples : Lutz, flip, boucle piqué, Salchow ; n’en réussit aucun ; retente un quad boucle piqué hors combinaison qui lui vaut “REP” ; loupe encore son triple Axel. Le chat noir chassé par Kevin a élu domicile dans ses patins, causant quatre chutes. Quand on lui demande, en conférence de presse post libre, ce qu’il s’est passé, il répond, en toussant toujours comme un perdu, signe qu’il n’est pas au top de sa forme, qu’il n’en sait rien. Parce ce qu’il n’en sait réellement rien à part qu’il vient d’endurer la pire compétition de sa carrière. Adam a déjà patiné malade mais performait quand même. “C’est la vie” avait philosophiquement dit son coach, Cédric Tour, à l’issue du court. Une vie qui aujourd’hui ne lui fait pas non plus de cadeau. Il repart de Villard de Lans avec la médaille de bronze (219.56) après avoir reculé au 3ème rang du libre (136.99). Une seule solution : oublier ces Masters et avancer. Nous ne sommes pas inquiètes, Adam sait très le bien faire.
La remontée de François fait descendre tout le monde d’un étage, à commencer par Davide Lewton-Brain qui prend la 4ème place (128.97/210.81). Il est seulement 5 points plus bas que son record obtenu en 2022 en Challenger Serie. Passer sous la houlette de Nicole Schott et Michael Huth à Oberstdorf, comme Léa Serna, a dynamisé et affiné son patinage. Il chute sur triple Axel et rencontre quelques soucis avec ses triples flip et boucle, avant de rater sa pirouette finale, mais l’ensemble de ce libre est bien construit et agréable à regarder. La bande originale de “Interstellar” composée par Hans Zimmer sert de thème à Luc Economidès. Virage à 180° pour un patineur qu’on sait énergique et éruptif. Mais c’est un excellent choix qui nous ouvre la porte sur une nouvelle facette de sa personnalité. Dommage qu’il ne soit pas ici en réussite. Quatre chutes et un mauvais calcul comptable (deux REP suite à des tentatives de combinaisons soldées par deux solos) font dégringoler son score (120.62) et le classent 5ème au total des deux épreuves (202.21). Luc est un patineur atypique et très talentueux, très “musical”. Ce libre devrait mûrir en cours de saison et permettre à son auteur de prouver sa juste valeur.

Côté dames, Lorine Schild n’a pas dit son dernier mot. Son libre, sur la très jolie bande originale de “Women”, composée par Armand Amar, démarre en fanfare avec la réussite du triple Lutz/triple boucle piqué, loupé la veille. La carre de réception du triple flip n’est pas claire, mais le triple Lutz et le double Axel sont maîtrisés. L’atterrissage du triple boucle est un peu secoué et lui vaut des grades négatifs. Elle chute sur triple Salchow/Axel en séquence et le triple Salchow combiné au double boucle piqué est reçu sur le quart. Mais le patinage de la Rémoise reste ample, élégant, la présentation est soignée. Il ne manque à Lorine qu’un peu plus d’expressivité. Elle gagne ce libre avec 120.23 et la compétition avec un total de 177.02.

Vainqueur en 2023,mais absente sur blessure l’an dernier, Léa Serna comptait bien retrouver son titre. Ce ne sera pas le cas. Sur le célèbre “Hymne à l’Amour” d’Edith Piaf chanté par Chimène Badi, et après “Exogenesis” et “Uprising” de Muse la saison passée, Léa prouve ses goûts éclectiques et qu’elle peut tout interpréter. Mention très bien à une magnifique robe gris anthracite brodée de dentelles noires et de discrets brillants. Elle nous gratifie d’un joli triple Lutz/double boucle piqué. Le boucle ne lui a jamais porté chance, mais elle continue de l’inclure dans son programme et c’est hélas pour l’éclater. Le triple Salchow est en nette sous rotation. Le Lutz connaît le même sort que le boucle. Il manque un bout de tour à l’Axel en séquence après un triple flip. Mais, là où elle aurait baissé les bras presque tout de suite il y a seulement deux ans, elle se bat courageusement. Le programme est beau, intelligemment conçu pour tirer partie au maximum de ses qualités, hélas il comporte trop d’erreurs. Léa rétrograde à la seconde place (102.48) avec un total de 167.42.

Jade Hovine, Belge née à Lille, joue les James Bond’s girl sur “Writing on the Wall”, la chanson titre du film “Spectre”, créée par Sam Smith, ici en version Sofia Karlberg, chanteuse suédo-marocaine qui s’est rendue célèbre en postant ses reprises sur YouTube. L’invitée honoraire de la compétition va collectionner, avec une application involontaire, les quarters, les sous rotations et les sauts dégradés. Deux chutes n’arrangent rien. Elle rafle des composantes de 10 points supérieures à son TES, même si elles restent peu élevées. Ce n’était pas un bon jour pour elle, elle est néanmoins 3ème du libre et du classement final (88.30/142.95).

Ce n’est pas un bon jour non plus pour Clémence Mayindu, qui talonne Jade à moins d’un point (87.54), mais recule d’un rang après le court. Sur “If You Go Away” [Ne me Quitte Pas] chanté par Imany, elle commet moins d’erreurs que Jade, et ses pirouettes sont supérieures d’un niveau. Mais ses grades d’exécution flirtent avec les 0 et les composantes sont basses. Elle reste 4ème avec 130.47 au final.

De la musique choisie aux costumes en passant par la chorégraphie et l’exécution de leur danse libre, tout, chez Laurence Fournier-Beaudry et Guillaume Cizeron, est sobriété, sensibilité, subtilité. Comment sont-ils parvenus aussi rapidement à une telle entente sur la glace ? Ils ne travaillent ensemble que depuis quelques mois, mais ont évolué côte à côte dans un même club avec d’autres partenaires pendant des années. Comment Laurence, technicienne de renom au style puissant et athlétique, a t’elle pu se muer en cette sirène éthérée presque languide ? Ils ont choisi la musique du film “The Whale” en détournant le thème original pour imaginer le leur : l’eau, et sa fluidité. L’interprétation est excellente, avec ce qu’il faut de douceur et de légèreté. La mélodie va crescendo dans un registre émouvant, mais sans larme ni drame. Une très belle réalisation pour un partenariat tout neuf. Guillaume a visiblement résolu son problème de talon de patin arrivé au point de rupture la veille. Les notes ne sont pas loin d’être astronomiques pour un couple de danseurs aussi récent en première sortie officielle. Un souffle “d’IAMflation” doublé de la récurrente inflation locale sont sans doute passés sur le panel de Villard. Il est cependant assez rare que six juges sur sept s’accordent sur le grade d’exécution le plus élévé, +5, pour un même élément, ici le porté en courbe. Pas une seule composante n’est inférieure à 9.50, la majorité est à 9.75. Le protocole signale la séquence de pas chorégraphique par un point d’exclamation qui signifie qu’elle ne correspond pas entièrement aux prérequis, mais les GOEs restent stables, de 0 (un seul) à +3 avec une majorité de 2. Un juge a également évoqué une violation du code vestimentaire, comme lors de la RD, mais il ne sera pas suivi par ses homologues. Avec une danse libre couronnée de 130.53 et un total de 219.07, Laurence et Guillaume sont bien sûr vainqueurs. A noter : ce score leur aurait permis d’être vice-champions du Monde en mars dernier à Boston, derrière Madison Chock et Evan Bates. Qui doivent voir leur rêve de médaille d’or olympique 2026 légèrement se fendiller sur les bords… Car ce qui se passe ici aux Masters est un signe fort. Le couple français (si toutefois Laurence obtient la nationalité à temps) est non seulement déjà performant, mais très soutenu.

Jinx, la Zaunite aux longs cheveux bleus : c’est le personnage de l’univers Arcane qu’incarne Loïcia Demougeot, tandis que nous avons imaginé, à raison ou à tort, Théo Le Mercier dans la peau de Silco. La construction du programme est aussi originale que le thème, avec une ouverture par le porté stationnaire, suivi de la circulaire et de la séquence sur un pied. Les twizzles arrivent en 7ème élément, choix ambitieux car à ce niveau du programme, il faut avoir conservé de la vitesse, de la puissance et du souffle. Loïcia et Théo n’en manquent pas. Je trouve les composantes un peu basses, ma co-rédactrice les trouve équitables. Et me rappelle que je trouve toujours les composantes du couple villardien un peu, voire, très basses ! Ils prennent une jolie 2ème place du libre (113.44) et montent sur la 3ème marche du podium (190.35).

Dans ce libre, Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud ne sont qu’à quelques poussières de points des Vertamicoriens (113.38). Ils n’ont emprunté à l’univers déjanté de la chanteuse islandaise Björk que les chansons “All is Full of Love” et “Bachelorette”, agrémentées d’un passage central sur “The Return” par Clann. Les costumes sont élégants et sages, la chorégraphie ciselée bien qu’un tout petit peu générique : on retrouve des éléments déjà connus dans leurs anciens programmes, mais ce sont aussi leurs gestes signature. Eux aussi commencent leur danse par le porté stationnaire et leurs twizzles tombent pile en milieu de prestation. Des twizzles dont la netteté discutable fait tomber le niveau à 2. Ce n’est pas une erreur fréquente de leur part et il vaut mieux la commettre ici à Villard aux Masters qu’en plein milieu de saison.
Le jour où Natacha Lagouge et Arnaud Caffa n’auront plus le sourire sur la glace et cette joie évidente de patiner, le monde s’arrêtera de tourner ! Nous le répétons à chacune de leurs apparitions, mais ils sont peu nombreux à afficher un tel bonheur et un tel optimisme. Intelligents, cultivés et un brin mystiques, ils savent tirer parti de tout, éternellement positifs. C’est une qualité précieuse qui les aide à avancer. Avancer, ils le font, en raflant 8 points de plus que l’an dernier. Leur libre est très différent du précédent, romantique, d’une douceur caressante, angélique. Pas d’erreur dans l’exécution et leurs notes sont méritées. 4èmes de la FD (105.09), ils occupent la même place à l’issue de la compétition (177.50). Marie Dupayage et Thomas Nabais semblent plus décontractés que lors de la RD, mais hors glace Marie affiche un visage fermé. Indila et sa voix de crécelle écorchée entame une “Dernière Danse” pour un programme intéressant et très bien chorégraphié. Le thème ne se prête pas à leur explosivité de bombes à neutrons, et pourtant ils s’en tirent avec brio, tout en grâce et subtilité. Techniquement, ils sont néanmoins en deçà de leurs possibilités. La concurrence devient rude au sein des Villardiens, de quoi générer un brin de stress. Un porté trop long leur fait perdre un point et la séquence chorégraphiée est sanctionnée pour non respect des critères. Mais ce sont des erreurs faciles à corriger. Ils sont 5èmes de la FD (100.07), avec une bonne avance sur Fradji/Fourneaux, et 5èmes de la compétition (166.41).
Célina Fradji et Jean-Hans Fourneaux, ne semblent pas stressés outre mesure par leur arrivée dans le grand bain senior. Leur patinage n’a d’ailleurs plus rien de junior, même s’il leur manque peut-être encore certains automatismes. Le lyrisme, le classicisme de Chopin, alliés à une chorégraphie contemporaine, leur vont au moins aussi bien que leur programmes passés. Célina et Jean-Hans sont de l’étoffe qui font de grands danseurs : originalité, personnalité, sensibilité, fibre musicale. Eux aussi, écopent d’une déduction pour porté trop long et d’un “!” pour les twizzles chorégraphiés. Niveau 4 pour portés et twizzles, 2 pour la médiane, 1 pour la séquence sur un pied. Ils ont une bonne marge de progression et nul doute qu’ils sauront en profiter. 93.97 les classe 6ème du libre, place qu’ils conservent au général (157.02).
Grâce à Mikhail Shaidorov la saison passée, nous avions appris qu’il est possible, avec plus ou moins de bonheur, de mélanger Beethoven avec A-Ha. Louise Bordet et Martin Chardain nous enseignent aujourd’hui que la célèbre Septième Symphonie peut précéder “I Wanna Be Your Slave” de Måneskin sur la glace, cette fois avec beaucoup plus de cohérence. C’était quand même un pari risqué, mais ils le gagnent. Ils sont 7èmes (89.87/144.02) devant les invités de l’étape Csiszer/Shapiro (77.47/124.78) et Anna Rumak et Antonin Emo (67.94/111.82). Pourquoi ces derniers sont-ils plus mal notés que les Hongrois qui ne leur sont pas réellement supérieurs ? Les voies du jury sont comme celles du Seigneur : parfois impénétrables.
Par Laurine Bourzat et Kate Royan