Du pain à partir d'herbiers marins ? Cultiver des céréales dans l'océan pourrait offrir une solution élégante à la montée des eaux.
Selon une nouvelle étude, les herbiers marins cultivés à grande échelle pourraient produire des quantités de céréales équivalant à 7 % de la production mondiale de riz.
Par Emma Bryce (Opens in a new window)

Les fermes de l’avenir font face à la montée du niveau des mers, à l'inondation des terres fertiles et à la salinisation croissante des sols, autant de facteurs qui menacent le rendement agricole. Et si les agriculteurs et agricultrices pouvaient s'adapter à ce paysage changeant ?
Une nouvelle perspective publiée dans le journal Ambio explore la manière dont, dans certains environnements, les producteurs et productrices pourraient se tourner vers une culture d’herbiers marins dans un avenir de plus en plus maritime. Cultivés à grande échelle, ces écosystèmes pourraient produire des quantités de céréales équivalentes à 7 % de la production mondiale de riz, avec des émissions potentiellement nulles, selon cette nouvelle analyse.
Les plantes de cette grande famille marine, telles que la zostère marine, produisent des graines charnues à l'intérieur de pousses sous-marines. Communément appelée « riz de mer », cette céréale océanique est depuis longtemps une source de nourriture dans certaines cultures autochtones. Malgré son nom, cette céréale est en réalité similaire au blé et elle est utilisée depuis des siècles par le peuple Seri du Mexique pour produire un type de pain dont la saveur serait similaire à celle du seigle. « La nouveauté de cet article réside dans le fait de combiner [ces connaissances] avec l'enjeu de la montée du niveau de mer et les solutions nécessaires pour adapter nos paysages », explique Marieke M. van Katwijk, auteure principale de l'article, qui étudie la restauration et l'écologie des herbiers marins à l'Université Radboud, aux Pays-Bas, un pays lui-même vulnérable à l'élévation du niveau de la mer.
Son étude montre que, même avec les mesures climatiques les plus ambitieuses, un réchauffement climatique d'au moins 1,5 à 2 °C est inévitable, ce qui rendrait 620 000 kilomètres carrés de terres vulnérables aux inondations d'ici 2100. Par rapport à aujourd'hui, cela représenterait 80 000 kilomètres carrés supplémentaires des terres influencées par la mer, qui pourraient potentiellement accueillir la culture d’herbiers marins. La zostère marine n'a pas été domestiquée, mais même les variétés sauvages peuvent produire entre 3 et 6,5 tonnes de grains comestibles par hectare, des rendements comparables aux 4,7 tonnes par hectare produites en moyenne par le riz domestique. Par ailleurs, sa grande diversité génétique pourrait être exploitée afin de développer des cultivars à plus haut rendement. La vaste répartition de la zostère, de l'Afrique du Nord à l'Europe, en passant par l'Asie et l'Amérique du Nord, lui confère une grande tolérance aux variations de salinité et de température, ce qui lui permet de s'adapter à un monde en constante évolution.
L’analyse poursuit en disant qu'en raison des capacités de recyclage des nutriments des herbiers marins, il ne serait pas nécessaire d'utiliser des engrais chimiques pour obtenir des rendements élevés. En outre, les agriculteurs et agricultrices pourraient s'appuyer sur les atouts naturels de cette plante marine en tant que réservoir important de carbone. Selon l'espèce et l'endroit, les herbiers peuvent séquestrer entre 50 et 1 900 kilogrammes de carbone par hectare chaque année, une vitesse de séquestration des dizaines de fois (Opens in a new window)supérieures à celle des forêts tropicales. Bien que les opérations de semis, de récolte et de transport du riz de mer puissent produire des émissions de gaz à effet de serre, comme d'autres types d'agriculture, M. van Katwijk souligne qu'en combinaison avec la décarbonisation future de ces processus, les réserves de carbone sous les herbiers marins compenseraient probablement ces émissions. À cela s'ajoutent les nombreux avantages des herbiers marins sur l'écosystème, qui servent notamment d’habitat à la biodiversité, et qui contribuent également à soutenir la pêche commerciale (Opens in a new window).
Globalement, si les zostères étaient cultivées sur les 80 000 kilomètres carrés de nouvelles zones côtières suite à la montée future des océans, jusqu'à 52 millions de tonnes de céréales par an pourraient être produites, soit environ 3 à 7 % de la production mondiale de riz. Il s'agit d'une « solution très élégante, lorsqu'elle est appliquée dans un équilibre entre production alimentaire et services écosystémiques », explique M. van Katwijk.
La culture d’herbiers marins en est qu'à ses débuts : il n'existe pas encore de cultivars de semences adéquats pour en faire une réalité commerciale. Toutefois, ce stade précoce offre l’occasion d'éviter les erreurs de l'agriculture conventionnelle, estime M. van Katwijk. Il est avant tout essentiel que la culture d’herbiers marins n'éclipse pas la nécessité de protéger les herbiers sauvages, qui sont en déclin dans le monde entier et dont la restauration devrait être la priorité, dit-elle. Les exploitations agricoles ne doivent pas empiéter sur les herbiers sauvages, et celles-ci ne doivent pas être utilisées pour la récolte commerciale du riz de mer. En concevant des exploitations respectueuses de la nature, ces paysages pourraient accueillir la faune et la flore et favoriser la biodiversité marine. Ils pourraient même intégrer des programmes de don de semence gérés de façon responsable pour aider à restaurer les herbiers naturels et à maintenir leur population ancestrale. Simultanément, le riz de mer renforcerait la sécurité alimentaire en s'adaptant à l'évolution de notre monde.
Si l'agriculture marine peut sembler lointaine, c’est dès maintenant que nous pouvons commencer à nous y préparer, affirme M. van Katwijk. « Il existe des opportunités fascinantes de production alimentaire durable sans émissions de carbone, où tout le monde est gagnant, dans lesquelles nous devrions investir aujourd'hui, afin de les appliquer dans un avenir lointain, lorsque le niveau de la mer s'élèvera davantage. »
Source : Van Katwiik, M., « Grain fields in sea-landscapes (Opens in a new window) », Ambio, 2025.
Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2025/05/bread-from-seagrass-cultivating-grains-in-the-ocean-could-be-an-elegant-solution-to-rising-seas/ (Opens in a new window)
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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (Opens in a new window). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (Opens in a new window), la Durabilité à l’Ère Numérique (Opens in a new window) et le pôle canadien de Future Earth (Opens in a new window).