L’intensification durable, un oxymore? Une étude menée sur neuf ans semble indiquer le contraire.
Un système de culture diversifié dans la Ceinture de maïs (Corn Belt) des États-Unis a permis de réduire la pollution par l’azote et de favoriser la multiplication des vers de terre.
Par Emma Bryce (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)

Dans l’Illinois, faire pousser en alternance du seigle et du blé d’hiver dans des champs de maïs et de soja permet de réduire de 50 % les pertes d’engrais (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), sans nuire aux rendements globaux. Ces résultats sont issus d’une nouvelle étude qui nous rapproche de l’intensification durable dans la Ceinture de maïs (Corn Belt) des États-Unis, affirme l’équipe de recherche.
L’équipe est partie de l’hypothèse selon laquelle le fait de diversifier la rotation conventionnelle des cultures de soja et de maïs sur deux ans en Illinois permettrait de maintenir le sol couvert plus longtemps et d’augmenter la quantité de carbone stockée dans le sol. Une plus grande quantité de carbone dans le sol est un moyen reconnu de capter et de stocker davantage d’azote provenant des engrais au lieu de laisser cette précieuse ressource s’échapper avec la pluie et le ruissellement (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre).
Dans la plupart des grandes exploitations agricoles, cette eau riche en nutriments est acheminée par des canalisations souterraines appelées « tuyaux de drainage » qui visent à évacuer l’excès d’eau du sol pour éviter les inondations. Ce système s’est avéré pratique pour les membres de l’équipe de recherche, car il leur a permis de mesurer le débit de nitrate dissous dans les sols et de comparer les niveaux entre deux types d’exploitations agricoles. Le premier type était conventionnel et reposait sur une rotation tous les deux ans entre la culture du maïs et celle du soja. Ce modèle a servi de témoin. L’autre type était expérimental et reposait sur des plantations de soja et de maïs ensemencées en alternance de seigle et de blé d’hiver à différents moments sur une période de trois ans. Au total, cette expérience de comparaison a duré neuf ans, de 2015 à 2023.
Tout au long de cet exercice, une différence marquée entre les deux exploitations est apparue. Dans l’ensemble, les cultures diversifiées (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) ont montré une diminution de 50 % du ruissellement d’azote échantillonné à partir des tuyaux de drainage. Ces résultats ont été particulièrement remarquables pour le seigle, dont la présence dans les champs a ensuite entraîné la plus grande différence annuelle de charges en nitrate entre les deux systèmes de culture, les réduisant de 90 % par rapport au modèle témoin, en 2019. La plantation de blé d’hiver a montré une capacité similaire à retenir l’azote dans le sol.
Dans les deux cas, la récolte était coupée et laissée sur le champ pour créer d’épaisses couches de biomasse qui recouvraient le sol. Selon l’étude, la rotation sur trois ans, plus diversifiée, a permis de couvrir le sol de cultures ou de résidus de biomasse pendant 30 mois sur 36, contre seulement 10 mois sur 24 dans le cas de la rotation sur deux ans. On pense que la couverture plus constante, la présence de racines dans le sol et les quantités plus importantes de biomasse et de carbone contribuent à « immobiliser » le nitrate et à l’empêcher de s’échapper du sol.
Cela laisse à penser qu’il est possible d’augmenter la production agricole tout en réduisant la pollution par les nutriments. « Deux récoltes par an, c’est de l’intensification, et si on réduit simultanément la perte de nutriments, c’est de l’intensification durable », explique Lowell Gentry, chercheur en ressources naturelles et en sciences de l’environnement à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign, et coauteur de l’étude.
L’impact sur les rendements (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) est un peu plus mitigé. Il est intéressant de noter que le seigle, céréale fixant l’azote, semble avoir eu un effet négatif sur la productivité de la culture de soja qui a été plantée ensuite. Cela s’explique probablement par le fait que le temps humide a empêché les agriculteurs de couper le seigle à temps, de sorte que lorsque les plants de soja ont émergé, ils ont poussé à l’ombre du seigle, ce qui les a privés de la lumière du soleil nécessaire à une croissance vigoureuse.
Cependant, il y a eu des moments dans le cycle où les rendements ont augmenté. L’équipe de recherche a remarqué que lorsque le maïs et le soja étaient plantés un peu plus tôt dans la saison, ils produisaient plus de grains. Et les rendements du blé d’hiver étaient 32 % plus élevés dans les champs diversifiés par rapport à la production moyenne du sud de l’Illinois. Fait important, l’équipe a constaté que dans l’ensemble, les rendements n’étaient pas réduits sur les terres agricoles plus diversifiées.
La rotation sur trois ans a également entraîné un essor des vers de terre (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), qui peuvent contribuer à améliorer le drainage et à rendre les nutriments plus disponibles dans les sols. Cette exploitation a été labourée à un rythme beaucoup plus réduit, car le labour est associé à une augmentation du lessivage et de la perte de nitrates, mais il semble que cela ait également rendu l’environnement plus favorable à ces vers, dont les turricules ont commencé à apparaître sur toutes les terres non labourées. Aucun n’était visible dans les exploitations conventionnelles, qui, en comparaison, sont fortement labourées.
Dans le cadre de recherches futures, l’équipe prévoit étudier l’impact des vers de terre sur le sol et le lessivage des nitrates : « J’aimerais quantifier l’abondance des vers dans diverses rotations, car le travail du sol semble les éradiquer », précise Lowell Gentry. On visera également à déterminer le bon moment pour les cultures, ce qui « est très important dans un système intensifié », où les intérêts des plantes sont variés et parfois contradictoires, comme on l’a vu avec l’inadéquation entre le soja et le seigle.
Grâce à ces expérimentations, la diversification des cultures (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) sur un plus grand nombre de terres agricoles pourrait avoir un impact considérable dans la vaste région de la Ceinture de maïs aux États-Unis, en particulier dans l’Illinois : l’étude souligne que la pollution par l’azote dans les rivières de cette région atteint régulièrement des niveaux dépassant les normes de l’Agence américaine de protection de l’environnement pour une eau potable sûre.
Gentry et coll., « A diverse rotation of corn-soybean-winter wheat/double crop soybean with cereal rye after corn reduces tile nitrate loss », Frontiers in Environmental Science (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), 2025.
Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2025/04/is-sustainable-intensification-an-oxymoron-a-9-yr-study-says-maybe-not/ (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)
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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), la Durabilité à l’Ère Numérique (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) et le pôle canadien de Future Earth (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre).